le 14 novembre 2025
  • CY Maison SHS | Podcast

Publié le 14 novembre 2025 Mis à jour le 14 novembre 2025

Épisode 6 du podcast L'Instant Recherche

Couverture L'Instant Recherche V2
Couverture L'Instant Recherche V2

Dans ce 6e épisode de L'Instant Recherche, Céline Braconnier, professeure en science politique (laboratoire CESDIP), nous parle du projet DemoCIS - Démocraties et citoyenneté. En ligne sur toutes les plateformes et sur YouTube ! [Retranscription disponible sur cette page]

#5 - Céline Braconnier : Le projet DemoCIS - Démocraties et citoyenneté

 

Dans cet épisode, Geneviève Zembri-Mary, directrice de la Maison de la recherche en Sciences humaines et sociales (SHS) Annie Ernaux de CY Cergy Paris Université, s'entretient avec Céline Braconnier, professeure des universités en science politique, fondatrice et directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye de 2013 à 2024 et aujourd’hui directrice du CESDIP, le centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales.

Cette dernière nous présente le projet DemoCIS - "Démocraties, citoyenneté et institutions face aux transformations de l’espace public". Lauréat de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) SHS du programme France 2030, le projet DemoCIS rassemble 300 chercheurs, qui soumettent à l’épreuve des sciences sociales des évolutions majeures de notre société, dont le point commun est de fragiliser les démocraties.
Ce projet a ainsi pour ambition de mieux cerner les menaces et attaques auxquelles font face les démocraties. Il s'intéresse à la forte polarisation de nos sociétés - dans une démarche de reconstruction du commun et d'innovation dans les processus de régulation - et s'interroge sur la manière de répondre à la défiance citoyenne qui sape la légitimité des institutions et des gouvernants et, donc, fragilise les fondements de notre démocratie représentative. DemoCIS explore aussi les nouvelles modalités et les nouveaux espaces d’expression de la citoyenneté ordinaire, plus informelle, qui s’invente sur le terrain. 

Pour en savoir plus sur le projet :

Ce podcast est disponible sur toutes les plateformes d'écoute et sur notre chaîne YouTube.
N'hésitez pas à vous abonner pour ne manquer aucun épisode !
 

---- Retranscription de l'épisode ----

Solène Hazouard : Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'être accompagnée par Geneviève Zembri-Mary, directrice de la Maison de la recherche en Sciences humaines et sociales Annie Ernaux de CY Cergy Paris Université, et Céline Braconnier, professeure des universités en science politique, fondatrice et directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye de 2013 à 2024 et aujourd’hui directrice du CESDIP, le centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales.
Nous les recevons pour parler du projet DemoCIS, un second programme de recherche soutenu par l'État, lauréat d'un appel à manifestation d'intérêt en sciences humaines et sociales (AMI SHS) dans le cadre du grand programme national "France 2030", programme dans lequel le CESDIP est fortement engagé.
Merci beaucoup pour votre présence à toutes les deux.

Geneviève Zembri-Mary : Bonjour Céline. Quel est le sujet de ce projet DemoCIS ?

Céline Braconnier : Bonjour Geneviève. DemoCIS est l’acronyme de “Democracy Citizenship and Institutions Facing the Transformations of Public Spheres” – "Démocraties, citoyenneté et institutions face aux transformations de l’espace public".

Derrière cet intitulé, 300 chercheurs soumettent à l’épreuve des sciences sociales des évolutions majeures de notre société, dont le point commun est de fragiliser les démocraties. En effet, les démocraties subissent des attaques directes (comme par exemple des attaques terroristes ou des cyberattaques), font face à des menaces hybrides dont les effets déstabilisateurs sont très puissants.

On va chercher à mieux cerner ces menaces et ces attaques, à analyser les réponses qui se mettent en place, et aussi à souligner les formes d’insécurité générées par certaines de ces réponses, par exemple quand elles restreignent les libertés fondamentales. On pense aux libertés associatives, aux libertés d’information et d’expression, aussi à la liberté de mener une activité de recherche. On peut difficilement être plus en prise avec l’actualité immédiate du monde.

Comment faire face à ces menaces réelles et nombreuses, qu’il faut d’abord comprendre pour mieux les contrer ? Comment permettre une gouvernance démocratique qui demeure garante des libertés fondamentales ? C’est l’une des questions structurantes de DemoCIS, qui guidera les travaux de ces chercheurs. Et parmi eux, les travaux des politistes, des sociologues, des historiens et des juristes du laboratoire CESDIP, qui est une unité mixte de recherche consacrée à l’analyse – par les sciences sociales – du droit et des institutions pénales. C’est un laboratoire adossé à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, et dont CY Cergy Paris Université, l’université de Versailles Saint-Quentin, le CNRS et le ministère de la Justice sont cotutelles.

Autre défi majeur auquel nos démocraties sont confrontées : la forte polarisation de nos sociétés. Les désordres informationnels qui l’alimentent, les nouvelles formes de conflictualité qu’elle génère et qui fragmentent profondément l’espace public. Ces menaces nous mettent au défi de la reconstruction du commun et de l’innovation dans les processus de régulation. Et le pari de DemoCIS est que les sciences sociales peuvent aider à relever ce défi. Là encore, les chercheurs de CY Cergy Paris Université et Sciences Po Saint-Germain-en-Laye prendront leur part des travaux collectifs engagés au CESDIP, mais aussi au laboratoire LT2D, où une petite équipe de collègues spécialistes en sciences de la communication travailleront en collaboration notamment avec leurs collègues de l’Institut Mines Télécom (IMT) de Nantes.

Comment répondre à la défiance citoyenne qui sape la légitimité des institutions et des gouvernants et, donc, fragilise les fondements de notre démocratie représentative ? C’est la troisième grande question qui structure le consortium DemoCIS. Les chercheurs du consortium font l’hypothèse que certaines innovations institutionnelles peuvent permettre de relever ces défis. Ils questionnent les modalités les plus adaptées de restauration du lien représentatif et soumettent à l’épreuve de recherche-action des dispositifs à la fois plus délibératifs et plus inclusifs de fabrique des décisions publiques. Nos collègues juristes et philosophes du LEJEP sont d’ores et déjà bien engagés dans l’exploration des pistes de ce défi pris en charge par DemoCIS.

DemoCIS explore aussi les nouvelles modalités et les nouveaux espaces d’expression de la citoyenneté ordinaire, plus informelle, qui s’invente sur le terrain. Il étudie notamment les conditions de pérennité de ces modalités pour voir comment elles peuvent aider à régénérer et consolider nos démocraties.


GZM : Ce projet de recherche est interdisciplinaire : quelles disciplines mobilise-t-il ?

CB : Le programme DemoCIS mobilise beaucoup de disciplines. On a à la fois des historiens, des juristes, des politistes, des sociologues, des géographes, des anthropologues. À l’image des chercheurs de CY Cergy Paris Université et de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye qui sont engagés dans cette aventure scientifique, la communauté de DemoCIS est donc issue de toutes ces disciplines des sciences sociales. C’est un des atouts, je pense, du projet qu’on a déposé et qui a séduit le jury. On a vraiment joué pleinement le jeu de cette pluridisciplinarité. Et, de fait, elle permet une diversité et une complémentarité des approches utilisées pour traiter les défis que je viens de présenter.

DemoCIS a aussi fait le choix fort et très distinctif de mettre en œuvre une recherche participative comme fil rouge de son programme, qui favorise aussi les croisements disciplinaires. DemoCIS va ainsi déployer une convention citoyenne pour la démocratie en quatre volets successifs, de sorte que chacun des grands défis structurant le consortium intégrera une convention citoyenne.

Nous allons ainsi mettre en place en 2028 au CESDIP une convention citoyenne consacrée au rapport police-population. Nous accueillerons des citoyens tirés au sort pour débattre de cet enjeu sociétal fondamental, pour formuler des propositions après avoir organisé des rencontres avec des acteurs professionnels et les experts du sujet. Ces experts seront pour partie des chercheuses et chercheurs de chez nous – si nous accueillons cette convention, c’est parce que nous avons au CESDIP des spécialistes des questions de police, de sécurité et que les travaux produits au sein du laboratoire interrogent depuis longtemps aussi bien les pratiques policières que les modalités de défiance qu’elles génèrent. Mais nous accueillerons également des spécialistes issus d’autres établissements partenaires de DemoCIS, notamment à l’international ; nous tiendrons compte des expérimentations tentées dans certains pays et bien sûr donnerons la parole aux acteurs de terrain, des policiers, des représentants d’autres professions intervenant dans la régulation des conflits, des associations concernées par ces enjeux. Cette approche constitue un choix méthodologique et politique fort, celui de la co-construction chercheurs/citoyens des réponses aux grands défis démocratiques.

D’autres actions scientifiques structurantes de DemoCIS sont fondamentalement interdisciplinaires également : je pense au baromètre de la démocratie qui va être mis en place, et qui intéressera aussi bien les sociologues, les politistes, que les spécialistes du langage ou les historiens. La plateforme dédiée à l’analyse et au suivi des risques informationnels intéresse à la fois les spécialistes de communication, mais aussi les sociologues, les politistes et les historiens. On a aussi parmi les outils communs, et qui sont fondamentalement transdisciplinaires, un observatoire des pratiques citoyennes, dans lequel devraient intervenir à la fois nos géographes, côté CY notamment – mais pas seulement évidemment –, nos historiens, les sociologues également.

Les pratiques observées seront utilisées pour caler les enquêtes du baromètre qui elles-mêmes alimenteront les conventions citoyennes ; elles permettront de tester la représentativité des comportements étudiées par ailleurs de façon plus approfondie. Les liens faits entre les outils communs favorisent ainsi la complémentarité entre les disciplines engagées dans DemoCIS.


GZM : Donc il y a beaucoup d’outils communs et interdisciplinaires, qui permettront aux chercheurs de dialoguer entre eux. Quels sont également les résultats attendus de ce projet de recherche pour la société ?

CB : Par son engagement résolu dans une démarche de recherche participative, et donc de croisement des savoirs académiques avec ceux issus de l’expérience, DemoCIS – je crois – répond parfaitement aux attentes de cet appel à manifestation d’intérêt (AMI) en matière de transfert des savoirs vers la société, et va même au-delà, parce que notre position dans DemoCIS, ce n’est pas seulement – même si c’est aussi cela – viser à donner accès au savoir académique, et donc favoriser les formats synthétiques, les formats qui sont plus facilement accessibles à un public un peu profane, qui n’est pas un public de spécialistes. C’est aussi associer des non-spécialistes à la construction du savoir par cette démarche participative.

Donc nous allons bien au-delà, puisque ce n’est pas seulement un transfert de connaissances produites en laboratoire vers la société qui est visé, mais un transfert de savoirs qui auront été coconstruits par les scientifiques, les professionnels, les citoyens.

Donc notre position, et je pense que ça fait vraiment partie de l’originalité de DemoCIS, c’est de considérer que les chercheurs ne peuvent pas relever seuls les grands défis qui fragilisent nos démocraties. Pour les relever, nous allons nous associer à un certain nombre d’acteurs institutionnels puisque la démocratie, c’est d’abord des institutions. Donc, nous avons prévu de travailler par exemple avec des députés et des élus locaux sur les conditions de restauration de la confiance, les conditions de restauration du lien représentatif pour essayer de consolider nos démocraties. Nous avons évidemment aussi prévu de travailler très directement avec le ministère de la Justice, qui est cotutelle du CESDIP, mais aussi le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la préparation de la convention citoyenne dédiée aux liens entre la population et la police. On ne peut pas imaginer organiser une convention sur ce sujet sans lien avec le ministère, avec des agents, avec des syndicats et évidemment avec les associations de terrain qui gèrent les effets de relations tendues entre la police et certaines fractions de la population. Les acteurs de la société civile seront donc non seulement intéressés par les résultats de DemoCIS, mais ils en auront été, à nos côtés, les acteurs.

Au-delà des élus et des associations, nous avons aussi prévu de coopérer et d’associer des acteurs internationaux, par exemple dans les analyses qui sont prévues sur les menaces hybrides qui pèsent sur nos démocraties : un lien fort sera développé avec les institutions européennes et avec l’OTAN. Donc il s’agira à la fois de travailler avec ces organisations qui seront intéressées aux résultats. Et elles le seront d’autant plus qu’elles y auront pris part en amont, et qu’on ne sera pas sur une diffusion de savoir descendant issu des seuls universitaires. Je pense que c’était un peu l’esprit de l’AMI SHS, mais que DemoCIS joue pleinement le jeu de l’esprit de cet appel à projets.

Et, au-delà, dans les conventions citoyennes, mais aussi dans des workshops qui associent chercheurs et acteurs de terrain, ce sont les simples citoyens qui seront invités à se faire entendre autant qu’à se saisir des résultats de la recherche qu’ils auront contribué à produire. Notre volonté est en outre d’associer des citoyens, mais pas seulement des citoyens qui s’expriment le plus, y compris dans les échantillons des sondages, qui sont plus politisés que les autres, plus engagés dans des associations et donc plus prêts à répondre aux chercheurs. Notre objectif va être de partager et de diffuser auprès de citoyens ordinaires. Notre ambition est d’intéresser celles et ceux-là mêmes qui sont les moins facilement accessibles, les plus inaudibles, les plus invisibles dans l’espace public et dans les enquêtes des chercheurs. C’est en tout cas ce que nous a encouragé à faire le jury qui nous a déclarés lauréats dans ses remarques. Et cela tombe très bien car il y a un certain nombre de chercheurs piliers de DemoCIS dont les travaux se consacrent à cette inclusivité des populations les plus éloignées du politique, institutionnel en tout cas.

Une des grandes ambitions, c’est que le transfert des connaissances, bien sûr, vise nos institutions, l’amélioration des politiques publiques, l’outillage des associations, mais aussi des citoyens qui pourraient être intéressés et qui ne sont pas particulièrement engagés.

Et cela se traduit très concrètement aussi dans le fait que, par exemple, on a pensé une plateforme vivante DemoCIS, qui donnera accès aux résultats de nos travaux et qui comportera un outil d’interpellation citoyenne des chercheurs de DemoCIS, avec cette idée que, lorsqu’on se pose une question, qu’on s’intéresse à un sujet, même si on n’a pas des titres officiels au nom desquels s’adresser à un chercheur, on pourrait et on devrait avoir la possibilité de le faire.

Donc, cela fait partie des ambitions partagées des chercheurs de DemoCIS. Et nous sommes je crois particulièrement bien outillés pour répondre à ces ambitions, parce que DemoCIS est un collectif qui rassemble un peu plus de 300 chercheurs d’unités mixtes de recherche (UMR) et laboratoires de recherche. On rassemble des établissements assez différenciés dans leur façon de se positionner sur ces sujets de recherche : on a quatre grosses universités, on a CY qui est pilier, on a l’université Grenoble-Alpes, l’université Lyon 3, et la coordination est assurée par l’université de Lille, porteur principal du projet.

Ces quatre universités, qui sont des universités importantes en SHS, qui sont consacrées par cet AMI, ont aussi pour particularité d’être bien réparties sur le territoire national, ce qui nous permet aussi d’avoir accès à des acteurs de la société civile, à des élus issus de territoires très variés. Le collectif n’est pas « franco-francilien » : c’était aussi l’un des atouts DemoCIS.

Au-delà des quatre universités, il y a trois Sciences Po dans le consortium : Sciences Po Saint-Germain, Sciences Po Lille et Sciences Po Grenoble. Les Sciences Po sont déjà bien positionnés sur la formation continue dédiée aux élus par exemple. Quand on s’intéresse au transfert des résultats de la recherche vers la société, la formation continue est aussi une manière de contribuer à ce transfert et de faire en sorte que les élus de la République bénéficient de la recherche en train de se faire, de celle qui est la plus actuelle. Cela donne aussi un atout à ce consortium.

On est aussi associés avec l’IMT de Nantes, le CNRS et l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). La diversité des types d’établissements permet un positionnement complémentaire, y compris du point de vue de cette diffusion vers la société.

J’ajouterais que les universités partenaires du consortium sont toutes associés à des INSPÉ et que, par ce biais et celui des rectorats qui ont soutenu notre projet – c’est le cas du recteur de Versailles pour ce qui nous concerne – nous avons aussi vocation à travailler à des outils de diffusion des résultats auprès de la communauté éducative. On sait que notre éducation civique doit être en partie renouvelée : on a pour ambition avec DemoCIS aussi de contribuer à ce renouvellement en travaillant à la production d’outils, de kits pédagogiques, à destination des enseignants et des élèves.

Tout cela relève du transfert des résultats vers la société. C’était un des grands enjeux de cet AMI SHS, et on va essayer de relever le défi.


GZM : Merci Céline.

CB : Merci à vous.